M. Ziga Faktor est à la tête du bureau bruxellois du think tank tchèque EUROPEUM (Institut pour la Politique européenne). Alors que la présidence tchèque du Conseil de l’Union européenne atteint la moitié de son mandat, nous avons abordé les réussites et lacunes des diplomates tchèques ainsi que les défis qui restent à relever pour les trois prochains moins.
Q1. La présidence tchèque du Conseil de l’UE a débuté le 1e juillet. Pouvez-vous nous rappeler les priorités de Prague et évaluer les réussites des diplomates tchèques à ce stade ?
Depuis les premiers jours de la guerre en Ukraine, il est devenu évident que la présidence tchèque traiterait un nombre sans précédent de problèmes et que les priorités de la présidence devraient être rerédigées et concentrées sur le soutien à l’Ukraine et à la gestion des conséquences de la guerre. Les priorités établies précédemment, telles que l’approfondissement du marché intérieur, ont été mise en suspens et remplacées par des questions plus urgentes, comme la sécurité énergétique, le renforcement des capacités de défense de l’UE, ou le soutien à la résilience de l’économie européenne. Les tchèques se préparaient à travailler sur d’autres sujets, comme la continuation du travail mené dans le cadre du paquet « Fit for 55 », les discussions sur le système commun d’asile et de migration ou l’adoption des législations sur les marchés numériques (DMA) et les services numériques (DSA), pour donner suite à la présidence française.
A mon sens, le plus grand défi de la présidence tchèque est de maintenir l’unité des états membres sur le sujet de la guerre en Ukraine. Avec la poursuite du conflit, et de très forts impacts socio-économiques pour les citoyens, ainsi que des développements politiques contraignants dans certains pays, il sera plus difficile de conserver une position unanime. Cependant, la République tchèque est en mesure de relever ce défi, puisqu’elle a des liens historiques et culturels avec l’Ukraine, et comprend mieux la région que certains pays de l’ouest de l’Europe. Et pour le moment, la présidence tchèque a réussi en ce sens. D’autres réalisations plus mineures de la présidence arriveront sans doute dans le courant de l’année comme c’est souvent le cas des présidences débutant en juillet. Il serait aussi juste de dire que certains des succès rencontrés par les tchèques résultent du travail effectué par la présidence française, par exemple en ce qui concerne l’adoption de la législation sur les marchés numériques (DMA).
Q2. Certains critiques à Bruxelles et gravitant autour de la capitale estiment que la présidence tchèque peine sur certains dossiers, dont l’allocation des fonds de RePower EU and the plan de l’UE pour la sobriété énergétique (où une redistribution juste ne semble pas encore atteinte) : comment évaluez-vous la pertinence de ces critiques sur le sujet de l’énergie, l’une des priorités de la présidence tchèque ?
Il y aura évidemment des dossiers sensibles politiquement pour certains états membres, et il n’est secret pour personne que la République tchèque était traditionnellement parmi les pays les plus conservateurs en ce qui concerne les ambitions vertes de l’UE. Il n’est donc pas surprenant que les dossiers en lien avec la décarbonisation et l’industrie automobile compris dans le paquet « Fit for 55 » représentent par exemple un grand défi pour la Présidence. Cependant, je trouverais la critique assez injuste pour ce qui touche aux discussions sur RePowerEU et de plus grandes économies d’énergie car tout d’abord cette crise est sans précédent en Europe, et par ailleurs les états membres continuent de discuter des façons même d’allouer les fonds. Je parle ici spécifiquement des fonds additionnels qui pourraient être rassemblés à partir des revenus issus des système d’échange de droits d’émission (ETS) et qui seraient en tant normal dirigés vers le Fonds pour l’Innovation.
Nous devons évidemment tenir compte du fait qu’en ce qui concerne les méthodes d’allocation de ces fonds, la présidence tchèque doive traiter des propositions contradictoires venant des états membres, mais aussi du Parlement européen, tout en essayant de trouver un compromis parfait. Je ne pense que la critique associée à un supposé traitement préférentiel de l’Allemagne, par exemple, soit juste. La Présidence doit agir comme un intermédiaire non biaisé, et je crois que les tchèques essaient de trouver un équilibre entre les différentes idées proposées. Bien entendu, l’économie allemande est la plus grande d’Europe et elle recevra logiquement la plus grosse part des fonds. Nous devons aussi avoir conscience du fait qu’une absence de soutien à l’économie allemande, qui dépend largement de l’énergie russe, pourrait avoir un impact dramatique pour l’ensemble de l’UE. De plus, la décision finale sera prise par tous les états membres, prévenant ainsi tout accord qui ne serait pas approuvé au niveau macro. La nature de la solution qui sera trouvée reste à inventer, mais j’attendrai pour l’évaluer quelques semaines ou mois de plus.
Q3. La Présidence tchèque a placé le soutien à l’Ukraine et aux réfugiés ukrainiens au sommet de ses priorités. L’une des propositions clefs du ministre des Affaires étrangères Jan Lipavsky a été de créer un tribunal de guerre pour juger les crimes commis par les forces russes en Ukraine. Comment une telle institution pourrait-elle être établie et assurer son fonctionnement ?
Il y a eu plusieurs discours du ministre Lipavsky défendant cette idée, et ils constituaient avant tout une réponse aux appels des officiels ukrainiens après les horreurs découvertes dans des villes libérées telles que Izioum ou Bucha. La réalité des crimes de guerre commis par les forces russes en Ukraine n’est pas questionnable. Ils sont en violation directe des Conventions de Genève, et le ministre Lipasky parlait en représentant de la Présidence tchèque. Bien qu’il n’ait pas expliqué comment cette institution devrait concrètement fonctionner, j’imagine qu’elle sera similaire aux tribunaux établis pour traiter des crimes commis en ex-Yougoslavie. Cependant, il existe un réel problème avec cette approche théorique car nous ne pouvons pas nous attendre à ce que le gouvernement russe coopère aux enquêtes. Pour cette raison, les discussions sur la mise en place d’une telle cour doivent être vue plutôt comme des déclarations symboliques condamnant les actes de l’armée russe et menaçant Vladimir Poutine.
Q4. La présidence tchèque semble déterminée à combattre les manipulations étrangères de l’information et le financement depuis l’étranger des partis politiques en Europe, une question qui est devenue de plus en plus pressante pour les institutions européennes. Que pouvons-nous attendre de cette présidence en la matière ?
C’est bien sûr l’un des points cruciaux à traiter pour renforcer la résilience des démocraties européennes. Concrètement, il s’agit de réagir à la diffusion permanente de la propagande et désinformation russes et de réduire l’interférence russe dans les élections à travers le monde. Mais je ne qualifierais pas ceci d’ambition propre à la présidence tchèque, étant donné que la Commission européenne a déjà soumis une proposition en ce sens dans la seconde moitié de 2021 dans le but de voir adoptée une nouvelle législation avant les élections européennes de 2024. Ce sujet est cependant au cœur des préoccupations des citoyens tchèques, car l’ingérence russe est plus visible dans les régions du Centre et de l’Est de l’Europe. Le Conseil a déjà adopté sa position commune sur le sujet et l’on peut s’attendre à ce que la présidence tchèque poursuive les discussions avec le Parlement européen. De mon point de vue, il est important de mentionner que ces efforts s’appuient également sur la législation européenne sur la liberté des médias, préparé par le bureau de la vice-présidente tchèque de la Commission européenne Vera Jourova, ajoutant une « empreinte tchèque » aux efforts réalisés pour renforcer la résilience des démocraties.