Entretien avec Samy Chaar

Dernière mise à jour : 3 mars 2023|969 Mots|5 min de lecture|Catégories : entretien|

Monsieur Samy Chaar est Chef économiste du Groupe Lombard Odier & Cie à Genève. Au regard de la hausse de l’inflation et des inquiétantes perspectives économiques de la zone euro, nous étions heureux de discuter avec lui des dernières décisions de la Banque centrale européenne (BCE). La Banque a-t-elle eu raison d’augmenter ses taux d’intérêt de 75 points de base lors de la dernière réunion du Conseil des Gouverneurs le 27 octobre (2022), tout en annonçant un rythme plus réduit pour le resserrement de sa politique monétaire dans les mois à venir ?


Q1. La Banque Centrale Européenne (BCE) a décidé, lors de la dernière réunion du Conseil des Gouverneurs le 27 octobre dernier, d’augmenter ses taux d’intérêts de 75 points de base (pb). Pensez-vous que cette décision est appropriée au regard des risques croissants de récession dans beaucoup d’économies de la zone euro ?

La BCE vient de faire la première déclaration qui ne soit pas « hawkish » (c’est à dire conservatrice, NDLR) depuis des mois. La hausse de 75 bp annoncée jeudi confirme qu’elle continue à miser sur la hausse de ses taux d’intérêt pour atteindre le niveau neutre, estimé à environ 2%, assez rapidement. Mais, par la suite, la BCE devrait revenir à un rythme plus mesuré de resserrement monétaire en décembre, avec une hausse de 50 pb. Elle agit de la sorte car il existe un risque de récession et parce que les perspectives sur l’inflation seront légèrement meilleures du fait de la baisse des prix du gaz et de la pression limitée sur les salaires en zone euro. De façon générale, cette décision est donc plutôt appropriée car elle tient compte du risque conjoncturel (d’un resserrement trop prononcé) tout en permettant d’avoir un débat sur les orientations de la politique monétaire dans un contexte qui est très difficile à gérer.

Q2. Jusqu’à quel niveau estimez-vous la hausse des taux possible dans la zone euro et avec quel horizon temporel ?

Lorsque la BCE mettra à jour ses projections macroéconomiques en décembre, je m’attends à ce qu’elle diminue ses prévisions de croissance et prévoie une inflation revenant à son objectif de 2% d’ici à 2025. Cela donnerait du crédit à l’hypothèse d’une pause de la hausse des taux en 2023 avec des niveaux supérieurs au niveau neutre estimé. La référence de la présidente Lagarde au « décalage » (i.e. lag, en anglais) entre le resserrement monétaire et son impact sur l’économie sera au cœur des futures décisions de resserrement monétaire. Un taux final de 2,25% pourrait suffire pour que la BCE avoisine son objectif de 2% d’inflation en 2025. Ce taux pourrait même être encore inférieur si des mesures de « resserrement quantitatif » étaient mises en oeuvre. A titre de comparaison, les marchés anticipent un taux terminal de presque 3%.

Q3. Pensez que le « policy mix » de la zone euro est inapproprié ? Si non, quelles mesures pourraient mieux soutenir la croissance tout en maîtrisant l’inflation dans les économies de la zone euro ?

Les politiques budgétaires des différents Etats, pris dans leur ensemble, ont une structure très différente de celle d’un réel stimulus budgétaire qui irait dans le sens inverse d’un resserrement monétaire. Les politiques budgétaires déplacent actuellement le choc énergétique des bilans du secteur privé vers celui du secteur public et, dans le même temps, limitent la hausse des prix de l’énergie. En conséquence, elles ont tendance à diminuer l’inflation plutôt qu’à l’augmenter (étant donné le rôle clef de l’énergie dans sa hausse). C’est une politique très différente que celle consistant à stimuler la demande en injectant de l’argent public ou en réduisant les impôts, par exemple. En tant que tel, je ne pense donc pas que les gouvernements nationaux agissent dans une direction opposée à celle de la BCE. J’aimerais voir plus d’ambition budgétaire pour augmenter les investissements et renforcer les capacités énergétiques de l’Europe. Ce seraient des investissements productifs, avec peu de désavantages économiques…

Q4 : Quelle est votre opinion sur l’absence de décisions sur un resserrement quantitatif (i.e. la réduction du bilan comptable de la BCE) ?

L’absence d’annonce de « resserrement quantitatif » lors de la dernière réunion du Conseil des Gouverneurs est un autre élément plutôt accommodant de la politique monétaire (comme la mention du « décalage des effets » de celle-ci). Le niveau d’urgence à opérer un resserrement quantitatif ne semble pas excessivement élevé à l’heure actuelle et un programme d’action ne sera probablement établi qu’en décembre pour débuter au début 2023. Le resserrement quantitatif concernera le portefeuille d’achat d’actifs (APP). D’un autre côté, la BCE cherchera à éviter une fragmentation des risques, avec l’activation potentielle de l’instrument de protection de la transmission (TPI, en anglais) en arrière-plan pour limiter toute fragmentation non souhaitée, même si des questions demeurent sur les points de déclenchement (c’est-à-dire la question de savoir quand et comment déployer l’instrument) et de cohérence de cet outil avec l’objectif d’inflation. De manière générale, ce resserrement quantitatif concernera le portefeuille APP et devrait être un processus passif et graduel. Les obligations arrivant à maturité issues du programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP) seront réinvestis jusqu’au moins la fin 2024 (conformément aux signaux actuels).

 

Entretien avec Ziga Faktor
Conférence à Lyon II

Share This Story, Choose Your Platform!