Nous avons demandé à Pauline Schnapper, Professeur de Civilisation britannique contemporaine à l’Université Sorbonne Nouvelle, de nous livrer ses réflexions sur la campagne pour la direction du parti conservateur peu avant la fin de celle-ci, le 5 septembre. Madame Schnapper a récemment publié Où va le Royaume-Uni avec Emmanuel Avril (Odile Jacob, 2019).
Q1. La primaire interne pour la direction du parti conservateur s’achèvera avec l’élection du nouveau leader (et donc futur Premier ministre) par les membres du parti le 5 septembre. Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les différences idéologiques et politiques entre M. Rishi Sunak and Mme Liz Truss ?
Il n’y a pas de grandes différences entre les deux : ils sont tous deux issus du parti conservateur et revendiquent l’héritage thatchérien. Rishi Sunak est de façon générale plus modéré, notamment sur la politique économique qui a été le point central de la campagne, alors que Liz Truss apparaît comme plus radicale. Sur l’économie, Liz Truss a insisté sur la nécessité de réduire des impôts malgré des prévisions inflationnistes inquiétantes. Elle veut diminuer l’impôt sur les sociétés, le « green levy » (une taxe sur les prix de l’énergie) et les contributions à la sécurité sociale tout en acceptant la hausse de dette publique qui en résulterait. Sunak, au contraire, est bien plus inquiet de l’inflation et se présente comme plus responsable quant aux finances publiques. Il veut réduire d’abord l’inflation puis les impôts, bien qu’il ait accepté tardivement de diminuer la TVA sur les factures énergétiques. Les deux candidats s’adressaient aux membres de leur parti, pour qui les réductions d’impôts sont plus importantes que pour le reste de l’opinion publique étant donné que les membres du parti conservateur sont non seulement souvent du Sud de l’Angleterre et âgés, mais également plus riches que le citoyen britannique moyen.
Q2. Quelles ont été les principales questions débattues pendant cette campagne, tant dans sa phase initiale (alors que huit candidats étaient en lice) que pendant la course entre les deux candidats finaux, Y a-t-il eu des moments clefs, des tournants ?
Il est important de noter que les questions ayant fait l’objet de débats pendant la campagne étaient celles des membres du parti conservateur. Elles ne reflétaient pas les préoccupations et problèmes plus larges de la population britannique, qui ne sont pas limités à l’inflation mais concernent également le service national de santé (NHS), la politique sociale, l’éducation ou le récent agenda de « levelling up » (que l’on peut traduire comme le « programme de rééquilibrage » – c’est-à-dire la réduction des inégalités territoriales dans le Royaume-Uni, un enjeu qui a été central dans le vote pour le Brexit). En conséquence, le débat était excessivement biaisé dès le départ et la phase initiale de la campagne a reflété cet état de fait. Les huit candidats ont parlé de politique économique, peu du NHS et pas du tout de politique étrangère ou d’Europe. Au lieu de cela, ils ont passé un temps considérable à discuter de « guerres culturelles », du « wokisme », du « politiquement correct » et de la difficulté de parler librement au Royaume-Uni. Ce dernier thème a plus ou moins disparu pendant la course entre Rishi Sunak et Liz Truss, bien que Sunak y ait fait allusion en abordant les questions de sécurité.
Il n’y a pas eu de vrais tournants pendant cette campagne. Les dynamiques en faveur de Liz Truss, qui sont devenues apparentes dans le courant du mois de juillet, découlent simplement du soutien important qu’elle a reçu de la part d’autres candidats et de leurs partisans après l’élimination des premiers. La plupart d’entre eux étaient de la droite du parti. Rishi Sunak, quant à lui, a bénéficié du soutien des quelques centristes restant dans le parti dès le début de la campagne et avait une réserve de voix moins importante dans la course finale. Il n’a pas fait de réelles erreurs et la plupart des économistes considèrent sa politique économique comme étant plus appropriée, mais il n’avait pas de grandes chances de gagner. Il est important de rappeler que le parti conservateur s’est orienté nettement vers la droite ces dix dernières années. Les quelques membres modérés du parti ont été exclus par le Premier ministre sortant, Boris Johnson, et Liz Truss a bénéficié de ce glissement dans le positionnement du parti, bien qu’elle n’ait pas été particulièrement populaire parmi les députés conservateurs au départ.
Q3. Le Brexit a-t-il joué un rôle dans cette campagne ? Y a-t-il une quelconque reconnaissance de la part des membres du parti ou des candidats du fait que le référendum a pu entraîner certaines conséquences négatives qu’il est nécessaire de traiter ?
Absolument pas. Le Brexit n’a pas été réellement débattu et il n’y a pas eu de reconnaissance de la part des membres du parti ou des candidats du fait que le Brexit était une mauvaise idée. Le parti conservateur demeure dans une sorte de bulle où l’on pense que le Brexit était une fantastique opportunité et que le Royaume-Uni n’en souffre pas. Et s’il y a des conséquences négatives, elles seront sans doute résolues sous peu. Les deux favoris sont d’accord sur le fait que le Brexit était une grande opportunité, du moment que le Royaume-Uni décidait de diverger des règlementations de l’Union européenne encadrant le commerce. Les principales divergences entre Rishi Sunak et Liz Truss concernent le protocole nord irlandais : en tant que Ministre des Affaires étrangères, Liz Truss a introduit le « Protocole sur l’Irlande du Nord » qui, s’il est voté par le Parlement, enfreindrait l’accord signé avec l’Union européenne. Pendant la campagne, elle avait promis de déclencher l’article 16 du Protocole (la procédure permettant de prendre des mesures unilatérales de « sauvegarde » si l’UE ou le Royaume-Uni estimaient que l’accord menait à de sérieuses problèmes pratiques ou causait des effets de diversion du commerce) rapidement.
Q4. Il y a des incertitudes sur ce que fera le prochain dirigeant du parti conservateur (et donc le futur Premier ministre) quant à la relation de la Grande-Bretagne avec l’UE : peut-on s’attendre à un nouveau départ dans les relations bilatérales ou tout juste quelques progrès sur le Protocole nord irlandais ?
Comme je l’ai dit, les deux candidats Rishi Sunak et Liz Truss ont tous deux approuvé et fait campagne pour le Brexit (bien que Liz Truss ait été au départ une « Remainer ») et pensent qu’il apportera de nombreuses opportunités. Ils veulent tous les deux le mettre en oeuvre pour se débarrasser de la « paperasse » associée, à tort ou à raison, au droit de l’UE. Ils sont tous les deux inquiets des effets négatifs du Protocole nord irlandais sur le commerce entre la Grande Bretagne et l’Irlande du Nord. La différence entre les deux candidats en ce qui concerne l’Union européenne est sur le ton, plus que sur l’attitude ou la substance. Rishi Sunak veut réduire les obstacles au commerce mais considère qu’il devrait y avoir au moins quelques négociations avec l’UE sur des sujets pratiques, alors que Liz Truss est bien plus agressive et prête à s’engager dans un bras de fer. Si elle gagne, ce qui semble probable au regard des sondages, les perspectives ne sont pas bonnes. Franchement, il sera difficile d’espérer des progrès tant que le parti conservateur restera au pouvoir, c’est-à-dire jusqu’en 2024 s’il n’y a pas d’élections générales avant la fin de la législature. Pour les dirigeants européens, le prochain Premier ministre britannique ne sera pas plus simple à gérer que Boris Jonhson.