Il est toujours intéressant de se pencher sur les évolutions de la politique intérieure de l’Allemagne. Même lorsque les choses y sont ennuyeusement stables, le pays conserve une forte influence sur les affaires européennes. Et lorsque les choses se gâtent, cela n’en devient que plus intéressant. Alors que la coalition semble être sens dessus dessous sur bien des sujets, nous avons demandé à Alexandre Robinet-Borgomano, conseiller à l’Institut Montaigne de partager son analyse. Que pense-t-il du style de gouvernance et de l’autorité du Chancelier Olaf Scholz, de la stabilité de la coalition et de la très discutée « Zeitenwende » ? Les partis de la coalition allemande ont-ils une influence sur les débats européens ? Lisez plutôt !
Q1. La coalition allemande, en place depuis un an et demi maintenant, semble être divisée de l’intérieur sur des sujets aussi différents que la politique fiscale, la politique budgétaire, l’environnement ou la politique étrangère. Quelle est votre analyse de la stabilité de la coalition et de ses perspectives ?
La mise en place de la coalition « feu tricolore » réunissant pour la première fois au niveau fédéral les Verts et les Libéraux sous la direction SPD apparaissait dès l’origine comme un défi pour la cohérence et l’efficacité de l’action du Gouvernement. Réunis sous le terme d’alliance progressiste, le programme initial de cette coalition contenait plusieurs contradictions révélant des divergences idéologiques fondamentales entre les différents partis, sur le projet de pipeline Nord Stream II ou dans le domaine de la politique fiscale notamment. Le déclenchement de la guerre en Ukraine a brutalement relégué au passé ce programme, en forçant les partis au pouvoir à remettre en cause leurs fondamentaux. A cet égard, l’annonce par le Chancelier en février 2022 du Zeitenwende, le changement d’époque, s’est accompagné d’une remarquable unité au sein de la coalition.
Les divergences qui apparaissent désormais ne sont pas tant liées aux différences idéologiques des partis au pouvoir. Elles sont davantage le reflet des rapports de forces qui tendent à se sédimenter au sein du gouvernement. Le leadership du Chancelier et de celui son parti, le SPD, est remis en cause par la popularité de la ministre des Affaires étrangères Annalena Baerbock et du ministre de l’Économie, Robert Habeck, qui tous deux appartiennent au parti vert. Le parti libéral à l’inverse peine à exister au sein de cette coalition : les échecs qu’il a essuyé aux dernières élections régionales le poussent à radicaliser ses positions voir à s’opposer à ses partenaires pour tenter d’exister politiquement. Ces lignes de tension rendent plus difficile l’a conduite de l’action publique, mais elles ne menacent pas la stabilité de la coalition.
Q2. Le chancelier Scholz semble avoir du mal à communiquer clairement sur sa stratégie politique, notamment en matière de politique étrangère, ce qui désarçonne les opinions publiques et les alliés de l’Allemagne. Comment caractériseriez-vous son style de gouvernance ? Est-il en mesure d’exercer une forte autorité sur la coalition ?
Si on compare la communication du Chancelier Olaf Scholz à celle d’Angela Merkel, on est frappé par l’abondance de texte de et la précision de la vision formulée par le Chancelier. Le discours historique sur le « Changement d’époque » prononcé au Bundestag en février 2022 et celui sur l’Europe qu’il a tenu en aout 2022 à l’Université de Prague n’ont pas réellement d’équivalent dans la période précédente. Le Chancelier a également détaillé sa vision dans un article de la revue « Foreign Affairs » qu’il est essentiel d’analyser. Le Chancelier explique sa position et sa vision de façon très détaillée, mais il est vrai que la définition d’une stratégie de sécurité nationale, comme celle d’une stratégie vis-à-vis de la Chine, peinent encore à voir le jour.
Si la communication diffère de celle de son prédécesseur son style de gouvernement est en revanche assez proche de celui de Merkel : gouverner ne signifie pas donner de grandes impulsions mais résister aux pressions de l’opinion publique et à celle de ses partenaires, pour finalement trancher lorsque les conditions d’un consensus sont réunies. Je crois qu’il faut éviter de surestimer l’autorité du Chancelier sur ses ministres, laquelle n’est pas comparable à celle du Président français. Dans leurs champs de compétences, les ministres conservent une grande autorité, ce qui explique qu’un accord donné par la Chancellerie à l’un de ses partenaires européens puisse, à l’occasion, être remis en cause par l’un de ses ministres.
Q3. Quel est votre appréciation du bilan de la coalition allemande jusqu’ici ? Est-ce que celui-ci n’est pas fragilisé par la volonté des partis de se différencier aux élections locales ? Pensez-vous par ailleurs que les trois partis de la coalition ont su peser sur les débats européens depuis qu’ils ont formé leur alliance ?
Il est essentiel de rappeler d’où part cette coalition. Dans le domaine social, la coalition est parvenue à mettre en place le salaire minimum de 12 euros. Dans le domaine de l’énergie, elle a réussi à défaire l’Allemagne de sa dépendance aux hydrocarbures russes en créant de nouvelles infrastructures pour acheminer des Etats Unis du gaz naturel liquéfié et en présentant, à Pâques dernier, une réforme fondamentale de la loi sur les énergies renouvelables. Dans le domaine militaire, l’Allemagne a opéré un tournant à 180 degrés, passant d’une logique profondément antimilitariste à l’affirmation d’une ambition militaire inédite depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Le discours de l’Allemagne sur la Chine a par ailleurs été profondément renouvelé : le nouveau mot d’ordre pour réduire sa dépendance vis-à-vis de l’Empire du milieu est la diversification. On assiste incontestablement à une accélération du temps politique en Allemagne, qui contraste avec les 16 années de stabilité et de prospérité d’Angela Merkel. Mais ce sont bien ces 16 années qui ont permis à l’Allemagne de poser les jalons qui lui permettent aujourd’hui de s’imposer comme une puissance centrale en Europe.
Q4. Comment la droite allemande est-elle susceptible de se transformer après 15 ans de pouvoir d’Angela Merkel ? Que restera-t-il des dynamiques centristes imposées par l’ancienne chancelière ? Assistera-t-on à un virage à droite plus net ?
Il ne faut pas surestimer le déclin de la droite allemande. Les dernières élections régionales qui se sont tenues à Berlin ont vu la CDU, le parti d’Angela Merkel, arriver largement en tête et dans les derniers sondages d’opinion le parti conservateur devance toujours de près de 12 points le parti social-démocrate. On constate cependant une tendance du parti à accentuer son profil conservateur, là où Angela Merkel avait plutôt tendance à mettre en évidence les ailes libérales et chrétienne-sociales de son parti. Le renforcement de ce positionnement conservateur apparait à ce jour comme la condition de son succès futur.